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NICOLA STURGEON

NICOLA STURGEON

Nicola Sturgeon, 48 ans, est première ministre de l’Ecosse depuis novembre 2014. Elle a pris le pouvoir au lendemain de l’échec d’un référendum d’autodétermination sur l’indépendance, prônée par le Parti national écossais (SNP), qu’elle dirige. Elle était en visite à Paris, lundi 18 et mardi 19 février 2019, pour, entre autres, inaugurer une représentation de son gouvernement destinée à conforter les liens avec la France dans la perspective du Brexit. À 50 ans, la Première ministre écossaise, confortée dans les urnes, entend bien mener à terme son projet de second référendum sur l’indépendance. Une sacrée épine dans le pied de Boris Johnson.

Elle est menue, il en impose. Elle arbore une coupe sans fioriture, il se bat avec ses épis. Elle parle avec mesure, quand il gesticule à tout-va… À 50 ans, la Première ministre écossaise Nicola Sturgeon aurait pu passer inaperçue face au grand boss du Royaume-Uni, Boris Johnson. Depuis samedi, pourtant, c’est elle qui mène la danse : la victoire de son camp indépendantiste met Londres au pied du mur.

Depuis le temps qu’elle en rêvait… Ado, cette fan de musique pop s’égosillait sur Wham et les Blow Monkeys. Surtout quand ces rockeurs écossais laminaient la conservatrice Margaret Thatcher. Pas de poster de la Dame de fer, donc, sur les murs de sa chambre d’Irvine.

Dans cette ville ouvrière au sud de Glasgow, Nicola, fille d’un électricien et d’une infirmière, a vu les ravages du Thatchérisme austère des années 1980. Timorée mais bonne élève, elle sèche même les cours pour manifester contre les fermetures d’usines et le nucléaire.

Sa fougue n’échappe pas au Parti national écossais (SNP). À 16 ans, la voilà recrutée par le mouvement… le plus poussiéreux du moment. Elle voit dans ce SNP, jugé ringard, le seul parti capable de tenir tête aux conservateurs qui dictent leurs lois depuis Londres.

Pour sauver le monde, elle plonge dans le droit et fait ses premiers pas d’avocate. Mais lâche vite le barreau pour la politique. Ses débuts sont rudes. À quatre reprises, elle échoue aux législatives à Govan, bastion travailliste. Elle n’a pas tout perdu. Lors d’un meeting, elle rencontre son futur époux, Peter Murrell, actuel directeur général du SNP. Le gendre idéal pour Joan, la mère de Nicola, militante indépendantiste et élue locale.

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L’acharnement de Nicola-la-bosseuse paie. En 1999, là voilà élue députée au sein du premier Parlement écossais. Et huit ans plus tard, le charismatique Premier ministre Alex Salmond fait d’elle son bras droit. À lui les grandes idées, à elle les gros dossiers. L’opposition raille celle qui se dit féministe, mais se voit confinée à l’ombre du patron.

Nicola Sturgeon est rodée aux clichés sexistes. Aux railleries des tabloïds qui pointent ses piètres talents de cuisinière… Aux commentaires odieux, aussi, de ceux qui s’étonnent qu’elle n’ait pas fondé de famille. Avec humour, elle leur répond que son mari est un as des fourneaux, mais qu’elle excelle dans l’art du repassage ​ ! Avec émotion, elle les fait taire en révélant avoir fait une fausse couche, en 2011.

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Oubliée la timide Nicola. L’échec cinglant du référendum sur l’indépendance, en 2014, l’a aguerrie. Propulsée Première ministre dans la foulée, elle s’est jurée de faire changer d’avis les Écossais. Elle échoue dans sa lutte antidrogue, mais déroule les politiques sociales, transforme sa région pétrolifère en chantre des énergies renouvelables et profite du Brexit pour réveiller les envies d’autonomie, convaincue que l’Écosse a sa place en Europe.

La pandémie de Covid-19 achève de la rendre populaire. À l’opposé de Boris Johnson, elle prend vite l’ampleur du désastre, communique chaque jour sur ses mesures et va même jusqu’à s’excuser des décès trop nombreux dans les maisons de retraite.

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Les Écossais saluent son humanité. Enfin, presque tous. Son ancien mentor, Alex Salmond, lui reproche son manque de soutien, quand il a été accusé d’agressions sexuelles, avant d’être blanchi. Il l’accuse d’avoir comploté dans son dos. Il crée même un parti dissident, Alba. En vain. Il ne décroche aucun siège. Son échec conforte même Nicola Sturgeon, comme cheffe incontestée des indépendantistes.

Ouest-France Cécile RÉTO. Publié le 

 

 Le « no deal » vous semble-t-il, aujourd’hui, le scénario le plus probable pour le Brexit ?

Oui, si rien ne change. Mais nous espérons que les positions de Theresa May évolueront, ou que le Parlement britannique la contraindra à le faire au cours des trois semaines à venir.

Mme May joue sur la peur d’un « no deal » – une sortie sans accord – pour faire ratifier l’accord négocié avec l’Union européenne (UE). Qu’en pensez-vous ?

La stratégie de Mme May a été profondément biaisée dès le début du processus de négociation. Le gouvernement et le Parlement de Westminster ont pris la décision d’activer l’article 50 sur la sortie avant d’avoir décidé ce qu’ils voulaient pour le Brexit ou pour la prochaine relation avec l’Union européenne. Ils ont par ailleurs contraint leurs propres marges de manœuvre en fixant des lignes rouges, au sujet de la fin de la liberté de circulation ou de l’indépendance de la politique commerciale, qui ont rendu très difficile la possibilité d’une solution raisonnable. Le Brexit n’est pas une bonne idée. Et la façon dont les négociations se sont déroulées, avec cette mauvaise approche, a rendu son issue encore pire.

Attendre le dernier moment pour faire voter l’accord, est-ce la bonne stratégie ?

C’est beaucoup dire de considérer qu’il s’agit d’une stratégie. C’est plutôt un acte de désespoir. La première ministre est venue à bout de toutes les options. Je reconnais que d’un point de vue européen, c’est le meilleur accord qu’on pouvait espérer, étant donné les lignes rouges connues. Mais cela reste un très mauvais accord pour le Royaume-Uni.

Mme May a vu son accord rejeté et, au lieu de changer son approche, elle a décidé de jouer la montre, dans l’espoir que les gens paniquent à mesure qu’augmente la probabilité d’un « no deal ». C’est une stratégie à haut risque qui n’a aucune garantie de succès. Et même si elle réussit, cette solution va exclure le Royaume-Uni de l’UE, du marché unique, de l’union douanière, mais ne donne aucune clarté sur la relation future.

Que feriez-vous à la place de Mme May pour faire ratifier cet accord de sortie ?

Je ne soutiens pas son texte. Comme le temps s’écoule vite maintenant, elle devrait demander une extension de l’article 50, pour exclure toute perspective d’une sortie du Royaume-Uni sans accord, ce qui serait catastrophique…

Un report du Brexit pendant combien de temps ?

A voir. Cela voudrait probablement dire plus de trois mois de délais. Dans mon esprit, ce report doit nous donner le temps de permettre un nouveau référendum, afin que les électeurs reconsidèrent le Brexit, étant donné qu’ils ont maintenant beaucoup plus d’informations que ce qu’ils avaient lors du premier vote. Cela aurait ma préférence.

Quoi qu’il arrive, ce délai doit aussi permettre d’aller vers une nouvelle négociation, qui doit mener vers une relation beaucoup plus proche avec l’UE en cas de sortie. Si nous quittons l’UE, ce à quoi je suis opposée, le Royaume-Uni devrait rester dans le marché intérieur et l’union douanière. Cela changerait l’approche prise par le gouvernement.

Si l’accord actuel devait être ratifié, demanderiez-vous un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse ?

Il y aura un autre référendum d’indépendance. La question est de savoir quand, et je ne vais pas y répondre tout de suite. Nous devons attendre de voir quel sera le calendrier, en fonction des scénarios encore possibles : une sortie avec un accord, une sortie sans accord, ou pas de sortie du tout. Nous n’aurons pas toute la clarté, mais un peu plus de précisions sur la voie prise par le Royaume-Uni. Je crois que l’Ecosse deviendra un pays indépendant. Les dernières années ont confirmé nos arguments en vue de l’indépendance. Avec le Brexit, pour lequel nous n’avons pas voté, nous payons le prix de notre absence d’indépendance.

Que pensez-vous du filet de sécurité irlandais, dit « backstop », prévu dans l’accord avec l’UE pour éviter le retour d’une frontière dure entre les deux Irlandes ?

Tout d’abord, ce filet de sécurité est un enjeu majeur. La paix est très importante en Irlande. Pour des raisons historiques, l’idée d’un retour de la frontière n’y est vraiment pas bienvenue. Mais vous devez comprendre pourquoi le filet de sécurité est nécessaire : il l’est seulement car le Royaume-Uni veut quitter le marché intérieur et l’union douanière européenne. Si le gouvernement suivait une approche différente sur ces deux sujets, la question irlandaise n’aurait pas la résonance qu’elle a aujourd’hui.

Le filet de sécurité prévu par l’accord à ce stade sur la table donnerait à l’Irlande du Nord un statut particulier, différent de celui de l’Ecosse, du Pays de Galles ou de l’Angleterre. Et cela me préoccupe naturellement en tant que première ministre de l’Ecosse. Car l’Ecosse et l’Irlande du Nord seront occasionnellement en compétition pour attirer les investissements. A l’avenir, si l’Irlande du Nord a une relation plus étroite avec le marché unique que l’Ecosse, cela représentera un désavantage pour nous. Si l’ensemble du Royaume-Uni restait dans le marché unique et l’union douanière, cela ne serait pas le cas…

Estimez-vous que l’UE s’est parfois montrée arrogante durant les négociations ?

Il y a beaucoup de domaines où l’on peut critiquer l’UE – même si je suis une proeuropéenne –, mais il serait injuste de la blâmer pour l’état de désordre dans lequel le Royaume-Uni se trouve aujourd’hui. Celui-ci est le résultat de la façon dont le gouvernement britannique a géré, ou pas géré, le processus. L’UE s’est montrée raisonnable et patiente. Elle est allée aussi loin que possible pour obtenir un accord convenable.

Sept députés britanniques viennent de quitter le Parti travailliste pour dénoncer les ambiguïtés de Jeremy Corbyn sur le Brexit. D’autres pourraient-ils suivre ?

Il est probable que d’autres députés du Labour quittent leur camp pour rejoindre ce nouveau groupe dans les prochains mois ou semaines. Beaucoup regrettent que Jeremy Corbyn ne s’engage pas fermement pour l’organisation d’un nouveau référendum.

Il n’est pas impossible que quelques tories [les conservateurs] en fassent de même. Au sein du parti, les proeuropéens ne soutiennent pas l’approche de Theresa May, mais si celle-ci changeait de stratégie, ce serait les partisans d’un Brexit dur qui, cette fois, seraient mécontents. Les conservateurs sont exposés au risque de division.

Quelles sont vos inquiétudes sur le plan économique ?

La première est qu’en cas de « no deal », le Royaume-Uni, dont l’Ecosse, devienne moins attractif pour les investissements étrangers. Beaucoup d’entreprises non européennes qui ont investi en Ecosse l’ont fait parce que cela leur ouvre l’accès au marché unique européen. Si nous perdons cet atout, certaines pourraient décider de partir. Pour le moment, nous n’avons pas vu de départs massifs, mais il est certain que le Brexit sera déterminant dans les décisions à venir concernant les localisations d’usines.

La deuxième inquiétude concerne la main-d’œuvre. La démographie écossaise nous impose de continuer à attirer des travailleurs étrangers. Si la liberté de circulation est suspendue, cela deviendra très difficile, à court comme à long terme. Notre taux de chômage, à 3,5 %, est déjà à un plus bas historique, si bien que certaines entreprises éprouvent déjà des difficultés de recrutement.

Comment vous préparez-vous au scénario d’un « no deal » ?

Nous consacrons beaucoup de ressources et de temps pour faire face à ce qui, nous l’espérons, ne se produira pas. Même si mon gouvernement n’est pas chargé de l’ensemble des aspects, notre comité gouvernemental de résilience, d’habitude sollicité pour gérer les tempêtes ou les attaques terroristes, se réunit toutes les semaines afin de passer en revue les aspects pratiques d’un Brexit sans accord et d’en limiter les conséquences. A l’exemple de l’approvisionnement en médicaments et en nourriture.

Des importations plus compliquées auraient une incidence sur les prix ou le choix de certains produits. L’alimentaire est également un secteur important de notre économie, notamment avec le saumon. Si nos producteurs doivent attendre pour exporter, les implications seraient majeures.

 Propos recueillis par Marie Charrel et Philippe Ricard Publié le 20 février 2019      Le Monde